Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/05/2014

1er mai : des luttes du peuple à leur piratage commercial

Cas d'école de ce détournement : le tableau de Pellizza (1901) bidouillé en 2000 par les pubards de Lavazza :

davolpedo.jpg

lavazza.jpg

  


 

Il y a déjà quatorze ans, le groupe turinois Lavazza, inventeur du café-capsule [1], détournait Quarto Stato (célèbre tableau du peintre Giuseppe Pellizza) pour en faire la pub d'une machine à café de bureau. Là où le peintre de 1901 avait montré des ouvriers le ''quart-état'' en lutte pour leurs droits humains, les pubards mettaient des jeunes cadres exhibant les codes du libéralisme post-68 : sourire obligatoire, executive women en tailleur, vestes sur l'épaule, etc ; encore quelques cravates mais vouées à disparaître... Le détail le plus significatif est la femme du premier plan : elle porte dans ses bras la machine à café Lavazza, là où la femme du tableau Quarto Stato portait... un bébé. ''Prolétaire'' voulait dire ''ayant-des-enfants'' ; les cadres de cette pub ne sont pas des prolétaires, donc ils n'ont pas d'enfant : c'est le message subliminal. En américain corporate des années 2000, ça se disait ''DINK'' , ''Double Income - No Kid'' : ''double revenu et pas de gamin'', un précepte du nouveau capitalisme.

Une firme à 1,1 milliard d'euros de chiffre d'affaires piratant l'imagerie des anciennes luttes ouvrières : allégorie du libéral-libertaire qui est le climat mental de notre société. Sachant que les chefs de pub de l'époque étaient d'anciens soixante-huitards comme nombre de managers, il faut relire la magistrale enquête de Boltanski-Chiapello [2] – parue en France trois mois avant le détournement italien du tableau de Pellizza – pour comprendre ce qu'était dès lors le nouvel esprit du capitalisme ; et à quel point sont urgents (quatorze lourdes années plus tard !) les appels des papes contre ce système [3].

Rappeler ces choses est utile, à l'heure où la gauche socialiste constate – un peu tard – qu'au PS les pubards ont depuis longtemps chassé les ouvriers.

 

__________

[1] faux espresso de bureau (sur lequel les diététiciens formulent aujourd'hui des réserves).

[2] Le nouvel esprit du capitalisme (Gallimard 1999, 840 pages) : un ouvrage décisif.

[3] Voir aussi, hélas, les tentatives actuelles (dans les milieux cathos français) pour caviarder ce que dit le pape François et brouiller la doctrine sociale.

 

 

Commentaires

LONG

> Le bébé remplacé par la machine à café. Ça en dit long. Ou ristretto. Ou plutôt : chiuso.
______

Écrit par : leoluca / | 01/05/2014

PAS DE SENS

> Comme souvent, je m'interroge sur le sens d'une telle démarche. J'ai l'impression qu'on joue juste sur le plaisir de la reconnaissance du spectateur, sans pour autant que ce jeu fasse sens. Qu'est-on censé comprendre en voyant cette pub?
______

Écrit par : Maud / | 01/05/2014

PAUSE CAFÉ

> Lavage de cerveau, servage de « lavoro »… Ces pubards de Lavazza m'inspirent. La pause-café de masse – ne plus parler de grève, c’est ringard –, ça pourrait être une idée pour mobiliser les salariés ! Par exemple, pour combattre la spéculation qui pèse aujourd’hui, à la baisse, sur la valeur de leurs postes de travail voire de leurs personnes, spéculation certes inspirée par « la crise ».
Cette spéculation échappe de plus en plus souvent à un sain projet entrepreurial, au risque d’induire des spirales négatives, elle est généralement hors de proportion avec les résultats affichés par l’entreprise. Mais elle fournit un masque bien pratique à la convoitise du patron et des principaux cadres dirigeants et actionnaires. C’est donc le mot d’ordre à la mode pour nos puissances managériales, tant économiques que politiques : baisse du coût du travail et donc minoration, avec l’aide des diaboliques DRH, du travail accompli par les salariés, de la valeur et de la dignité de leur fonction dans l’entreprise, histoire de les décourager, pour favoriser leur départ… Le but : une baisse globale des rémunérations…
Pour ma part, je bosse dans un groupe de presse dont le patron est d’origine polonaise, et j'en viens à croire qu’il enrage de ne pouvoir faire ses journaux avec des plombiers bulgares et maçons polonais (ou l’inverse), voire avec des robots – il est vrai qu’il y pense pour les robots, il nous a déjà fait savoir qu’il en existe d’excellents pour corriger la titraille et la rendre parfaitement assimilable par les moteurs de recherche…
Sur ce, je vous laisse, je vais me faire un café. Sans capsule. Dans une cafetière à pression.
______

Écrit par : Denis / | 01/05/2014

PLUS D'ENFANTS, NI DE VIEUX !

> Vous avez relevé le remplacement du bébé par un objet, mais ce n'est tout au deuxième plan il y avait aussi un autre enfant qui a disparu, il y avait aussi différentes générations (voir les crânes dégarnis), il n'y a plus que des jeunes, tous joyeux.
Plus de charge d'enfant, plus d'anciens à mêler; plus de vêtements variés (chemises sans cols), que des chemises pour jeunes cadres dynamiques. L'universalité de l'original est réduite à une masse de "jeunes cadres dynamiques".
Le "nouveau message" est : seuls ceux-ci peuvent véhiculer des valeurs positives. Le message en creux aux autres est débrouillez vous pour vous rapprocher de ce "modèle".
Enlever du sens aux choses, semer le trouble : C'est l'oeuvre du Malin (cf récit de la genèse). Cette publicité en est une parfaite illustration : ici (sur une photo) ce n'est pas par les mots, c'est par les absences que le message est modifié, la perversion n'en est que plus insidieuse.

franz


[ PP à F. - Dans le monde libéral, il n'y a plus d'enfants ni de vieux : rien que des jeunes consommateurs pétulants et friqués. C'est très chrétien. ]

réponse au commentaire

Écrit par : franz / | 01/05/2014

ARROGANCE PIMPANTE

> Le sens inéluctable de l'histoire : des rudesses austères du conflit social et politique à la société soft et unifiée par le seul horizon de la consommation.
L'arrogance pimpante et dynamique des vainqueurs de la lutte des classes entremêlée au mépris pour l'ouvriérisme archaïque vaincu.
Tel est je crois aussi le message pervers, par lequel s'identifier au produit, c'est s'identifier aux vainqueurs et au progrès. Sous-entendu : résister à cette identification serait du passéisme et une attitude de "loser".
______

Écrit par : Serge Lellouche / | 01/05/2014

RECUPERATION

> Ou qu'on pense à la récupération de la Nativité par Canal +, si je me souviens bien : les rois mages sont en route vers le Christ. Un des leurs, retardataire, trouve l'enfant Jésus abandonné, quand il voit de la lumière un peu plus loi, s'approche et voit les autres rois mages et la Sainte Famille en adoration devant une télévision.
C'est un peu le même genre de détournement, dans le domaine religieux,avec l'aveu de la nature religieuse (religion de substitution) du libéralisme et du consumérisme.
______

Écrit par : Aurélien Million / | 02/05/2014

Les commentaires sont fermés.